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Boletim do Museu Paraense Emílio Goeldi Ciências Humanas

versão impressa ISSN 1981-8122

Bol. Mus. Para. Emilio Goeldi Cienc. Hum. v.4 n.3 Belém dez. 2009

 

Le Département des Sciences naturelles de l'UNESCO et les scientifiques latino-américains à la fin des années 1940

 

UNESCO's Natural Sciences Department and Latin American scientists in the end of the 1940s

 

 

Patrick Petitjean

Université Paris-Diderot. Laboratoire de Philosophie et d'Histoire des Sciences. Centre National de la Recherche Scientifique. Paris, France (patrick.petitjean@univ-paris-diderot.fr)

 Endereço para correspondência

 

 


RESUME

Lors de la constitution de l'United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) à la fin de 1945, il a été fait appel à Joseph Needham (1900-1995) et à des scientifiques progressistes pour mettre en place le Département des Sciences naturelles. Needham a été appuyé par Julian Huxley (1887-1975), le premier Directeur général, issu comme lui du mouvement pour les relations sociales de la science des années 1930. Lobjectif de Needham était de refonder complètement les relations scientifiques internationales, notamment avec le 'principe de périphérie', qui devait conduire l'UNESCO à intervenir principalement vers les pays qui avaient le plus besoin de développement scientifique. Ce principe ouvrit un espace facilitant la participation de scientifiques latino-américains, comme aussi indiens et chinois, au secrétariat de l'UNESCO, en toute conscience de l'importance politique de cette participation. De même, cela conduit l'UNESCO à tenter d'implanter un institut international de recherche en Amazonie, un bureau régional de coopération scientifique (d'abord à Rio, puis à Montevideo), et à organiser en septembre 1948 à Montevideo la première conférence scientifique latino-américaine.

Mots-clés: UNESCO. Joseph Needham. Histoire. Coopération scientifique. Amérique latine.


ABSTRACT

When United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) was established by the end of 1945, Joseph Needham (1900-1995) and some progressive scientists were recruited to build the Natural Sciences Department. Needham was supported by Julian Huxley (1887-1975), the first Director general, also issued from the social relations of Science Movement of the 1930s. Needham's agenda was a complete re-foundation of the international scientific relations, applying in particular a 'Periphery Principle', according to which UNESCO's priority was to be turned towards the countries which needed the most a scientific development. Such a principle opened a space within UNESCO's Secretariat for scientists coming from Latin America, India or China, a conscious political geographically-oriented action. This principle also lead UNESCO to attempt the creation of an international research institute in the Amazon Region; to establish a Field Scientific Co-operation Office (firstly in Rio, afterwards in Montevideo); and finally to organize in Montevideo (September 1948) the first Latin American Conference for the Development and the Organization of Science (LACDOS).

Keywords: UNESCO. Joseph Needham. History. Scientific Co-operation. Latin America.


 

 

Ce travail fait partie d'un programme de recherches sur l'histoire des premières années du Département des Sciences naturelles de l'UNESCO1 et de la tentative de refonder les relations scientifiques internationales après-guerre sur des bases progressistes, en s'appuyant sur les analyses concernant la fonction sociale et internationale de la science. Selon plusieurs historiens2, la courte période (trois ou quatre années) qui a séparé la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le début de la Guerre Froide, l'UNESCO, et particulièrement son Département des Sciences3, ont constitué un espace de liberté dans lequel se sont investis des scientifiques progressistes. Les Etats-Unis n'ont jamais apprécié cette participation, contraignant Huxley à publier en son nom propre, et non au nom de l'UNESCO, le livre où il expose sa philosophie (Huxley, 1946).

Les 'fronts populaires scientifiques' (alliance des marxistes, des libéraux et des socialistes) ont survécu quelques années à la fin de la guerre, sur la base de l'humanisme scientifique4 et de la croyance en la fonction progressiste de la science.

Le travail concerne l'Amérique latine, et principalement le Brésil. Après avoir rapidement rappelé la place diplomatiquement stratégique de l'Amérique latine au sortir de la guerre, et après avoir présenté les orientations de Needham pour le Département des Sciences, il montre, à travers différents cas concrets, comment elles ont tenté d'être mises en oeuvre en Amérique latine, les contradictions et les échecs de cette expérimentation, et l'accueil favorable (dans un premier temps...) de nombreux scientifiques latino-américains.

Il est basé sur une grande variété de sources, récoltées au fil des années, notamment au siège de l'UNESCO à Paris5.

 

L'AMÉRIQUE LATINE ET L'UNESCO

L'Amérique latine a souvent joué un rôle plus important dans les relations culturelles internationales que son poids économique ou politique. Ses élites ont habilement joué de l'opposition entre panaméricanisme et latinité, entre les États-Unis et l'Europe. Inversement, les Européens ont souvent fait appel aux pays latino-américains comme alibi de leur européocentrisme, en raison de leur supposée proximité culturelle.

Entre les deux guerres déjà, des intellectuels brésiliens participaient à l'organisation internationale de la coopération intellectuelle, y compris à la Commission internationale mise en place en 1922 par la Société des Nations. Plusieurs commissions nationales de coopération intellectuelle existaient en Amérique latine6.

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, en Europe, l'Institut International de la Coopération Intellectuelle (HQ) cesse toute activité7. C'est à La Havane, Cuba, qu'aura lieu la seule réunion de toute la guerre, avec une rencontre des commissions nationales américaines organisée fin 1941 par cet Institut8.

Plus globalement, sur le plan diplomatique, le rôle de l'Amérique latine devient plus important pendant la Deuxième Guerre mondiale, et au sortir de cette guerre, pour sa distance du théâtre militaire et pour la reconnaissance d'avoir accepté (pour de nombreux pays) de rejoindre le camp anti-nazi. Ces pays sont stratégiques, notamment le Mexique et le Brésil, les plus développés: ils sont indépendants, alors que l'Inde est encore une colonie britannique et que la Chine est en pleine guerre civile. La dictature de Juan Domingo Perón marginalise un temps l'Argentine.

Quand les nouvelles organisations internationales se mettent en place en 1944-1945, les pays latino-américains apportent numériquement une contribution importante à la dimension internationale de ces agences. La ratification des traités et conventions internationaux, comme ceux créant l'ONU et l'UNESCO, dépendent beaucoup de leur signature par ces pays.

Les trois grandes puissances (Grande-Bretagne, États-Unis, France) qui contrôlent l'UNESCO ont donc un intérêt majeur pour ces pays, comme cela s'est manifesté lors de la conférence fondatrice à Londres en novembre 1945, lors du processus de ratification en 1946, et dans la construction du secrétariat de l'UNESCO. Julian Huxley (1887-1975), le premier Directeur général de l'UNESCO fera deux tournées des pays latino-américains en 1946 et 1947. Mexico est le siège de la deuxième Conférence générale de l'UNESCO en novembre 1947, après celle de Paris un an auparavant. Paulo Carneiro (1901-1982) s'imposera rapidement comme un des principaux acteurs du Conseil exécutif de l'UNESCO9. Il devra à l'opposition résolue du Département d'Etat américain de ne pas avoir succédé à Huxley ni, la fois suivante, à Jaime Torres-Bodet (1902-1974)10 comme Directeur général.

Torres-Bodet, le second Directeur général de l'UNESCO, élu en décembre 1948 lors de la troisième Conférence générale, est l'écrivain et homme politique mexicain. Dans les premières années de l'UNESCO, c'est souvent un front entre les pays latino-américains et les pays arabes qui fait la balance entre les Anglo-Saxons et les Français, qui rivalisent pour gagner leur soutien. Cela ne va pas sans contradictions: pour les Français, qui, dans cette période, entendent défendre leur empire colonial alors que les pays latino-américains y sont en général hostiles; pour les États-Unis, qui veulent garder l'Amérique latine comme une chasse gardée, et ne souhaitent pas que l'UNESCO développe trop ses activités sur le continent américain. Selon eux, l'UNESCO est le cheval de Troie des pays européens, et à travers eux, des intellectuels de gauche, voire favorables au communisme. Les seuls organismes internationaux présents en Amérique latine devraient être les agences panaméricaines. Ce fut contre la volonté des États-Unis, et après une forte résistance de leur part, pendant plusieurs mois, que l'UNESCO a ouvert son centre régional d'information à La Havane en 194911.

Dans un tel contexte, les scientifiques brésiliens, mexicains, mais aussi uruguayens, colombiens, vénézueliens ou équatoriens, ont eu de larges opportunités de travailler avec l'UNESCO. Lespace qu'ils ont pu occuper a été d'autant plus important par la convergence avec l'orientation 'tiers-mondiste' avant la lettre de l'UNESCO (le 'principe de périphérie') et par les proximités idéologiques entre les principaux dirigeants des premières années de l'UNESCO (l'humanisme scientifique, l'évolutionnisme, l'optimisme scientifique...) et des scientifiques latino-américains comme Paulo Carneiro.

 

JOSEPH NEEDHAM POUR LA REFONDATION DES RELATIONS SCIENTIFIQUES INTERNATIONALES À TRAVERS L'UNESCO

L'inclusion ès qualité de la science dans un plan mondial de coopération intellectuelle n'avait pas de précédent. Avant la guerre, la science était restée marginale dans l'Institut International de Coopération Intellectuelle. Quelques gouvernements participaient aussi au Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU). L'UNESCO, et plus largement le système de l'ONU, a permis de passer à un stade beaucoup plus développé d'organisation internationale de la coopération scientifique12.

Le contexte, dans les années 1943-1945, s'y prêtait: les institutions internationales étaient à reconstruire, et leur contenu à redéfinir. Des années de lutte et de guerre contre le fascisme semblaient fournir un cadre commun pour une action intergouvernementale. Les scientifiques eux-mêmes s'étaient fortement engagés dans l'effort de guerre. La science était comprise à la fois comme neutre en tant que connaissance, mais aussi comme porteuse de valeurs progressistes: la démocratie, la vérité, l'internationalisme, le bien-être grâce à ses applications potentielles. Pour de nombreux scientifiques, la coopération internationale est apparue comme un moyen de prolonger leur engagement antifasciste: conjurer les menaces d'un mauvais usage de la science (Hiroshima et Nagasaki) et en partager les bons usages entre tous les pays.

Il n'y avait pas opposition entre science et politique. L'UNESCO et l'ONU, comme institutions intergouvernementales, mélangent obligatoirement science et politique. Cela ne fut pas un obstacle à l'engagement de scientifiques, bien au contraire.

LES RACINES DANS LES MOUVEMENTS POUR LES RELATIONS SOCIALES DE LA SCIENCE

Joseph Needham (1900-1995), un biologiste de Cambridge est directement rappelé de Chine par Julian Huxley en avril 1946 pour intégrer le secrétariat de l'UNESCO comme premier directeur du Département des Sciences naturelles. Il s'appuie sur son expérience dans les 'mouvements pour les relations sociales de la science'13 dans les années 1930. A l'UNESCO, il continue à en porter les valeurs et s'appuie sur ces réseaux de scientifiques progressistes14.

La crise économique de 1929, avec son cortège de chômage, avait mis en cause le rôle de la science et de ses applications à l'industrie. Elle avait aussi provoqué une diminution des financements et de l'emploi dans la recherche scientifique. En même temps, les Nazis déformaient et utilisaient la science pour justifier le racisme. Un grand nombre de scientifiques se sentirent alors directement concernés, et même responsables, pour que les découvertes scientifiques et leurs applications servent à améliorer les conditions de vie de toute la population ainsi qu'à développer la démocratie. Ils se mobilisèrent donc pour le développement de la science, son organisation, et ses applications au bien-être, en y incluant le développement de la coopération scientifique internationale.

La guerre n'interrompit pas cet engagement, bien au contraire. La plupart d'entre eux participèrent directement à l'effort de guerre contre le nazisme. Pendant la guerre même, plusieurs conférences internationales furent organisées à Londres par la British Association for the Advancement of Science (BAAS) ou l'Association of Scientific Workers (AScW) sur le rôle de la science après la guerre. Peu avant la fin de la guerre, en février 1945, de nombreuses délégations étrangères participèrent à la conférence Science for Peace où fut notamment discutée la création d'associations scientifiques internationales. Ces scientifiques se retrouvèrent donc naturellement, à partir de 1946, à l'UNESCO, à l'International Council of Scientific Unions (ICSU), ou à la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques (FMTS) pour mettre en œuvre leurs projets (Petitjean, 2008).

L'EXPÉRIENCE DE TERRAIN EN CHINE

Needham porte l'expérience des cinq années qu'il vient de passer en Chine, depuis fin 1942, à la tête du Sino-British Science Cooperation Office.

Ce bureau avait la particularité, selon Needham, de ne consacrer qu'un tiers de ses activités à la 'science de guerre', un autre tiers concernant la 'science pure', et le dernier tiers les applications à l'agriculture et à l'industrie. Le bureau avait fourni une grande quantité d'équipements et de livres malgré la guerre. Il avait diffusé des articles scientifiques chinois en Occident, et inversement (Needham, 1949; Needham, 1946, p. 3-4).

La guerre a vu plusieurs autres expériences de bureaux de liaison scientifique. Needham propose donc à l'UNESCO de s'inspirer de la double expérience, du temps de paix et du temps de guerre:

- Les unions scientifiques se limitaient à un thème et travaillaient dans plusieurs pays. Les bureaux de liaison scientifique s'occupaient de tous les domaines, mais étaient seulement bilatéraux. Needham plaide donc pour un organisme multilatéral et multithématique.

- Les unions, indépendantes, manquaient de ressources financières et administratives, et étaient donc peu efficientes. Les bureaux avaient davantage de ressources, mais étaient soumis à des délais, des contrôles bureaucratiques. Needham plaide donc pour un fort engagement financier et organisationnel des États, avec une autonomie complète laissée aux scientifiques:

What we need today is fundamentally a system which will combine the methods which spontaneously grown up for assuring international relations in time of peace, with those which the nations have had to work out under the stress of war. None of the machinery ought to be scrapped. The problem is to weld it into a satisfactory functioning system (Needham, 1946, p. 6).

 LE PRINCIPE DE PÉRIPHÉRIE

De ses expériences, Needham tire quatre leçons: la nécessité d'une action volontariste très forte au niveau international, le "principe de périphérie" (Needham, 1946, p. 8), le refus de séparer les applications de la sciences de la recherche fondamentale, l'inclusion de la 'fonction sociale des sciences' dans les activités du Département15.

Il critique "l'esprit de chapelle de l'école théorique du laisser faire" (Needham, 1946, p. 8) selon laquelle tout le monde se connaît dans la communauté scientifique, et donc que tout se fait spontanément. A l'encontre de ce point de vue européen et américain, il oppose le fait que "l'image du monde de la science semble très différente selon qu'on la regarde de Roumanie, du Pérou, de Java, d'Iran et de Chine ou du monde européen et nord-américain" (Needham, 1946, p. 7).

Needham définit le "principe de périphérie" comme la nécessité pour l'UNESCO de se tourner prioritairement vers les pays qui ont le plus besoin de développer la recherche scientifique et ses applications, afin de réduire les écarts entre les différentes régions du monde. Ce principe est un apport de Needham, en rupture avec ce qui existait avant-guerre. Cela reste à contre-courant de l'européocentrisme majoritaire chez les scientifiques.

L'INTERNATIONALISME SCIENTIFIQUE

En arrière-fond des conceptions de Needham, il y a une représentation de l'universalisme de la science et de l'internationalisme scientifique, sans doute illusoire, mais commune (Elzinga, 1996a, 1996c). Dans son rapport à la Commission Préparatoire en juillet 1946, Needham replace les objectifs de la section des sciences parmi ceux de l'UNESCO:

UNESCO is an agency for peace through active international co-operation. In the field of scientific co-operation and service, we have one of the immediately effective means of accomplishing this. This is partly because scientific research is essentially and traditionally international and co-operative, and also because the applications of scientific knowledge to human welfare, if properly made, can be one of the most effective methods of removing some of the causes of war16.

Needham défendait l'idée d'une fonction progressiste de la science, par nature. La science était le meilleur moyen de faire face aux défis de l'après-guerre: améliorer les conditions de vie, assurer le développement économique des pays 'en retard', répondre au problème de la faim, de la désertification, de la surpopulation et des maladies. On peut qualifier tout cela d'optimisme scientifique', une philosophie spontanée des savants répandue dans tous les pays. Needham allait aussi plus loin: pour lui, les scientifiques eux-mêmes étaient prédisposées à l'internationalisme, bien qu'il ait peu d'illusions sur l'égoïsme et l'européocentrisme de ses collègues occidentaux.

LES PREMIÈRES ANNÉES DU DÉPARTEMENT DES SCIENCES NATURELLES

Le premier programme 'sciences' de l'UNESCO (Needham, 1946) comprenait plusieurs domaines concernés par le 'principe de périphérie'. Cet appui au développement scientifique des pays en dehors de la 'zone des Lumières' connaît un succès inégal17.

Trois bureaux scientifiques régionaux furent constitués dès 1947, en Égypte, Amérique latine (à Rio de Janeiro) et Chine. Le quatrième fut ouvert en Inde en 1948, mais le suivant, en Afrique, attendit les années 1960 (UNESCO, 1950; Hillig, 2006).

Un laboratoire international pour l'Hyléa amazonienne fut décidé en 1946 et créé en 1948, mais ne fonctionna qu'une année. Needham voulait qu'un Centre International de Calcul Mécanique (mathématiques appliquées) soit installé en Asie (Inde ou Chine), en compensation de la destruction (injustifiée à ses yeux) du synchrotron japonais en 1945; mais le centre sera finalement installé à Rome dans les années 1950. Le programme sur la Zone aride est élaboré dès la fin des années 1940. Plusieurs laboratoires internationaux sont proposés, dont des centres d'études sur la nutrition et sur la pêche (à l'initiative de l'Inde).

C'est dans ce cadre aussi que des réunions scientifiques régionales ont été organisées, notamment à Montevideo (1948, développement de la science en Amérique latine), à Lima (1949, biologie des hautes altitudes) et à New Delhi (1950, histoire des sciences en Asie).

Enfin, l'UNESCO fonctionne comme centre de liaison scientifique18: échanges d'informations entre scientifiques ou organismes; libre circulation des livres et périodiques, du matériel, produits chimiques, spécimens, collections; bibliographies, traductions, comptes rendus analytiques et indexage, pour rendre accessibles dans toutes les régions du monde; va-et-vient de scientifiques entre les pays; coopération entre les institutions scientifiques nationales etc.

 

L'INSTITUT INTERNATIONAL DE L'HYLÉA AMAZONIENNE (IIHA)19

LE PROJET DE PAULO CARNEIRO, DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE À L'UNESCO

Le projet de créer un Institut International de l'Hyléa Amazonienne (IIHA) a été la première - et la plus ambitieuse - matérialisation de la priorité de Needham et de l'UNESCO pour le développement scientifique en dehors de l'Europe.

Cet institut a été proposé à l'UNESCO par Paulo Carneiro, au nom du Brésil, en mai 1946, dans le cours de l'élaboration du volet 'sciences' du programme de l'UNESCO. Auparavant, en 1945, Paulo Carneiro avait présenté une première version de son projet auprès du Ministère brésilien de l'Agriculture. Ce devait être une "Fondation internationale", sous l'égide des gouvernements brésiliens et français, avec des centres de recherche à Belém et Cayenne, et un grand musée à Belém, incorporant le Museu Paraense Emilio Goeldi. L'emphase était mise, au-delà des sciences naturelles, sur l'étude systématique des populations indigènes20.

Ce projet avait reçu le soutien de Paulo Duarte et de Paul Rivet (qui animaient ensemble l'Institut des Hautes Études franco-brésiliennes)21, mais s'est heurté au refus du Ministre de l'Agriculture, sur la base d'un rapport rédigé par Felisberto Camargo. Pour ce dernier, Paulo Carneiro ne connaissait plus la réalité brésilienne et amazonienne: tout ce qu'il proposait pour sa fondation était déjà fait par l'Instituto Agronômico do Norte, dont il était alors le directeur et dans d'autres laboratoires du Ministère de l'Agriculture. De plus, selon Camargo, "Este projeto do Senhor Paulo Carneiro seria genial se ainda estivéssemos na época colonial, na época em que Humboldt e Bonpland se extasiavam maravilhados no seio da Hiléia"22.

Devant ce refus, Paulo Carneiro se tourne vers l'UNESCO en mai 1946, avec un projet qui n'est plus dorénavant seulement franco-brésilien, mais supposé regrouper les six pays amazoniens et les trois Guyane coloniales, et où le Museu Goeldi joue maintenant un rôle essentiel. Ce projet est accueilli très favorablement, au même titre que d'autres projets de laboratoires internationaux. Mais dans un premier temps, il n'arrive qu'en second parmi les priorités de l'UNESCO dans son projet de programme de juillet 194623. Le choix se porte sur la création du Centre International de Calcul Mécanique en Chine. Les deux projets étaient localisés en dehors de l'Europe et des États-Unis, mais Julian Huxley avait des réserves concernant l'IIHA: coûts financiers prévisibles trop importants, dimension seulement régionale (l'Amazonie) et non pas internationale, possibilité alternative de coordonner les institutions existantes au lieu d'en créer une nouvelle.

LA CONFÉRENCE DE BELÉM

Paulo Carneiro a présenté pour la première fois le projet de l'IIHA aux scientifiques brésiliens en juin 1947 lors d'une réunion organisée par l'Instituto Brasileiro para Educação, Ciência e Cultura (IBECC). Les principaux débats portèrent sur le futur du Museu Goeldi au sein de l'IIHA, et sur l'autonomie scientifique de l'IIHA au regard des pays impliqués dans sa création. La dimension anthropologique du futur institut a été particulièrement mise en avant: étudier les conditions de vie des populations amazoniennes, coordonner les expéditions et assurer le partage des objets recueillis. Le développement de nouveaux laboratoires devait permettre d'accueillir des chercheurs étrangers et de former des jeunes chercheurs brésiliens. Lors de cette table ronde, et sur ces bases, Paulo Carneiro obtint l'appui officiel de l'IBECC et des chercheurs brésiliens.

La conférence scientifique et diplomatique, convoquée par l'UNESCO et destinée à mettre en place l'IIHA, se déroula à Belém en août 1947. Elle fut présidée par Fred Soper (1893-1977), représentant de l'Organisation Mondiale de la Santé et de diverses agences panaméricaines. Paulo Carneiro en était le rapporteur final, et John Corner le secrétaire général pour l'UNESCO. Le Major Luís Geolás de Moura Carvalho, gouverneur du Para, introduit la réunion en indiquant que "l'Amazonie est notre, mais au service du monde et au service de la science, comme source de travail et de bien-être général". Tous les pays concernés étaient représentés, certains par des diplomates et d'autres par des scientifiques. Les principales institutions scientifiques brésiliennes étaient également présentes: Museu Nacional; Comissão Brasileira Demarcadora de Limites; Instituto Agronômico do Norte; Departamento Nacional de Saúde; Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE); Escola Nacional de Agronomia; Instituto Nacional de Tecnologia; Departamento de Zoologia de São Paulo; Inspetoria dos Índios do Pará; Banco da Borracha.

Le travail s'est déroulé en commissions pour examiner les besoins de développement des différentes branches des sciences naturelles: botanique, zoologie, géologie, géographie physique, pédologie, biochimie végétale, physiologie animale, médecine, écologie et anthropologie (laquelle était rattachée aux sciences naturelles dans la structure de l'UNESCO à l'époque). La plupart n'ont pas manqué de souligner l'importance des populations locales pour l'étude scientifique de la région. La commission des sciences sociales et de l'éducation, dans son volet consacré aux études indigénistes, a recommandé le développement de l'ethnobotanique, de l'ethnozoologie et de l'étude de la médecine indigène avant que ne soient perdus des savoirs faire en cours de disparition. Il y a aussi été demandé le droit pour les anthropologues de contrôler les activités qui, directement ou indirectement, pourraient toucher la vie et la culture des peuples indigènes en Amazonie; l'étude des causes de la dépopulation des villages indigènes; la préservation de l'intégrité culturelle des communautés indigènes, en limitant les interférences au minimum nécessaire.

Cette vision du mode de développement scientifique et des communautés indigènes était dans la lignée du premier projet de Paulo Carneiro, dénoncé comme archaïque par Felisberto Camargo. Sans surprise, cette vision n'était pas consensuelle. Elle était beaucoup plus approfondie que la demande initiale de l'UNESCO, et la ligne de fracture a traversé la réunion de Belém. D'un côté la délégation américaine et Felisberto Camargo ont défendu une recherche scientifique au service de la mise en valeur économique, dans la perspective de favoriser l'arrivée de centaines de milliers de nouveaux colons dans la région, ce qui, par soi-même, apporterait la civilisation aux indigènes. De l'autre côté, Paulo Carneiro et Heloisa Alberto Torres (1895-1977) ont défendu un projet d'écologie humaine, avec une forte composante d'anthropologie.

Si le rapport final de la conférence de Belém24 comprend un programme extensif et cohérent de recherches scientifiques, il n'avait pas fait disparaître la ligne de fracture entre les deux manières de concevoir ces recherches, dont la confrontation est une des bases de l'échec de l'IIHA.

DE L'ENLISEMENT À L'ÉCHEC DE L'IIHA

Pareillement, alors que les participants de la conférence, Paulo Carneiro en tête, la voyaient comme un succès, la direction de l'UNESCO en tira un bilan différent: le financement d'un tel institut restait de l'ordre de promesses vagues des pays participants, et les structures juridiques et diplomatiques n'avaient pas été abordées.

Dans la préparation de la deuxième Conférence générale de l'UNESCO, programmée à Mexico en novembre 1947, Julian Huxley était soumis à une double pression: financière et politique. Financière, les pays anglo-saxons et du nord de l'Europe voulant des économies en période de crise financière mondiale, et refusant un nouvel engagement en faveur du projet IIHA; politique, les États-Unis voyant d'un mauvais œil l'UNESCO s'installer en Amérique latine25. Julian Huxley fut donc contraint de faire voter un compromis à Mexico, loin des demandes de Paulo Carneiro qui, à la suite de la conférence de Belém, voulait que l'UNESCO entérine la création de l'IIHA et le finance. Il fut donc décidé de convoquer pour avril 1948 une deuxième session de la conférence de Belém, destinée à établir une convention diplomatique internationale pour créer juridiquement l'IIHA, à définir un financement durable, et à mettre sur pied une structure provisoire. Le financement de l'UNESCO pour 1948 se limiterait à cette conférence. Il serait complété par trois missions sur le terrain en 1948 aussi, directement financées par l'UNESCO, sans passer par la structure provisoire de l'IIHA. Aucun financement n'était prévu pour 194926. Ce pas en arrière de l'UNESCO, dès novembre 1947, est une autre des raisons de l'échec de l'IIHA.

Pourtant, lors de la seconde conférence qui se tient comme prévu en avril 1948 à Iquitos (Pérou), le projet semble encore sur la bonne voie. Une convention est adoptée pour donner une base juridique et financière à l'IIHA. Un conseil provisoire est établi, avec Heloisa Alberto Torres comme présidente et John Corner comme secrétaire. Le siège de l'IIHA est établi à Manaus, où est également transféré le siège du Centre régional de coopération scientifique de l'UNESCO.

Un premier conseil se réunit dans la foulée à Manaus, où sont validées, non sans débats houleux d'ailleurs, les trois missions financées en direct par l'UNESCO. Il s'agit d'une mission couvrant toutes les sciences naturelles dans la vallée de la rivière Huallaga au Pérou, avec le soutien particulier du Pérou et des États-Unis; une mission anthropologique dirigée par Charles Wagley (1913-1991), assisté d'Eduardo Galvão (1921-1976) à Gurupà, proposée par Heloisa Alberto Torres; et une mission d'inventaire bibliographique sur l'Amazonie, confiée au Père Enrique Perez Arbelaez (1896-1972), académicien et naturaliste colombien.

Paradoxalement, c'est dans cette période qu'éclate une violente polémique au Brésil, dans la presse, au Parlement fédéral et dans différentes institutions. L'IIHA est accusé d'être le cheval de Troie d'une intervention coloniale des grandes puissances pour voler l'Amazonie au Brésil en l'internationalisant. Et ce, même si le projet a pour origine une proposition officielle du Brésil à l'UNESCO.

L'ancien président Artur Bernardes est le moteur de la contestation nationaliste de l'IIHA, mais les milieux scientifiques eux-mêmes sont profondément divisés, avec en arrière-fond le mode de mise en valeur de l'Amazonie. Ce sont les mêmes milieux (Felisberto Camargo notamment) qui s'opposent à l'IIHA et favorisent par la suite la collaboration avec les États-Unis pour une mise en valeur prédatrice de l'Amazonie. On peut dire que les États-Unis ont su instrumentaliser en leur faveur une réaction nationaliste.

Paulo Carneiro multiplie les interventions et conférences27 pour expliquer la finalité de l'IIHA et rassurer sur son indépendance, rien n'y fait. Malgré un protocole additionnel en 1949 qui précise davantage le statut de l'IIHA, la convention d'Iquitos ne sera pas ratifiée par le Congrès brésilien, et l'IIHA disparaîtra après les trois missions. La structure provisoire ne sera jamais transformée en structure définitive.

Au-delà de l'enjeu proprement amazonien, l'échec de l'IIHA est d'abord l'échec de l'UNESCO pour établir des relations scientifiques internationales sur de nouvelles bases, plus tournées vers le développement des pays du Sud. Le poids des propres contradictions des premiers dirigeants de l'UNESCO, le contexte géopolitique, et l'hégémonie des grandes puissances ont rapidement refermé l'espace progressiste au sein de l'UNESCO28.

 

LACDOS (CONFÉRENCE LATINO-AMÉRICAINE POUR LE DÉVELOPPEMENT ET L'ORGANISATION DE LA SCIENCE)

La deuxième conférence générale de l'UNESCO (Mexico, novembre 1947) avait décidé d'organiser une conférence des experts scientifiques d'Amérique latine pour le développement de la science (UNESCO, 1948a)29. La proposition était issue des délégations latino-américaines. Elle se déroule pendant cinq jours à Montevideo (Uruguay) en septembre 1948. Ce fut la première conférence scientifique de l'UNESCO 'en périphérie', en application du principe du même nom. Parmi les délégués, se trouvent Bernardo Houssay (Argentine); Miguel Ozório de Almeida, Mauricio da Rocha e Silva, et Joaquim Costa Ribeiro (Brésil); des représentants de l'Uruguay, de Cuba, de l'Équateur, du Salvador et du Venezuela; des observateurs de la Bolivie, de la Colombie et de la République Dominicaine; des observateurs aussi de la Fondation Rockefeller, de la Smithsonian Institution et de l'Organisation Internationale du Travail (UNESCO, 1948b, p. 1)30.

LUNESCO est représentée par Emilio Arenales Catalán (1922-1969), un diplomate guatémaltèque, responsable des relations extérieures de l'UNESCO, principal organisateur de la conférence, et par Nestor Cacciapuoti, un physicien italien membre du Département des Sciences naturelles et secrétaire de la conférence. Il n'y avait pas de représentant du Mexique. Certains délégués étaient des scientifiques professionnels, comme les Brésiliens, les Argentins et les Uruguayens, d'autres étaient davantage des diplomates en poste à Montevideo.

La conférence fut aussi l'occasion d'installer un nouveau Centre régional de coopération scientifique pour l'Amérique latine à Montevideo. Le premier n'avait pas dépassé le stade d'une existence sur le papier, d'abord à Rio de Janeiro, puis à Manaus, pris dans les difficultés de la création (prioritaire pour l'UNESCO) de l'IIHA, avec lequel il partageait son directeur (John Corner).

Le président d'honneur de la conférence, Oscar Secco Ellauri (Uruguay) ouvrit la réunion en se félicitant de l'espace de coopération entre pays d'Amérique latine que constituait cette conférence et le Centre régional qui allait la prolonger. Selon lui, le progrès de la science et de la culture demandait (et dans cet ordre) l'organisation du travail scientifique, la coopération, et la coordination. C'est ce à quoi le Centre régional devrait se consacrer. La conception de la fonction de la science, telle que présentée dans son discours, était en accord avec celle des responsables de l'UNESCO: il est faux de considérer que la science est à l'origine des malheurs du monde. Bien orientée, elle est la promesse d'un avenir meilleur pour tous, et particulièrement pour les jeunes nations d'Amérique latine:

Le progrès universel de la science se met parfois au service du mal et de la destruction; mais son devenir n'est pas de conduire au mal et au chaos; la science commence seulement, et son aurore est sous le signe de l'espérance.

Cette profession de foi en la science est l'idéologie commune des scientifiques et des politiques au sortir de la Seconde Guerre mondiale. C'est la raison d'être de l'UNESCO.

Les discussions de la conférence ont principalement tourné autour de la manière d'organiser les recherches scientifiques (UNESCO, 1948b). Les participants se sont répartis entre différentes commissions: bibliographie, organisation de symposiums, bourses de recherches pour les scientifiques et les étudiants, établissement d'un régime professionnel scientifique à plein temps (UNESCO, 1948b, p. 9)31, Centre régional de coopération scientifique... Les thèmes montrent bien que l'objet de la conférence était l'organisation concrète de la recherche et le développement scientifique des différents pays, davantage que l'exposé de travaux scientifiques.

Furent aussi abordées les questions de l'information scientifique, à travers revues et journaux; de l'appui aux institutions existantes; et des priorités à établir, notamment la biologie, la chimie et la physique des sols.

Enfin, parmi les conclusions de la conférence, l'accent a été mis sur l'importance des 'Sociétés pour le progrès des sciences' au niveau de chaque pays pour coordonner activités et institutions, comme forme aussi d'organisation des communautés scientifiques naissantes. Il a été souhaité d'en établir de nouvelles dans les pays où elles n'existaient pas encore. Le souhait a été émis que les différentes associations professionnelles de scientifiques se relient à des agences internationales existantes, comme le Conseil International des Unions Scientifiques ou la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques. Enfin, l'existence de fonds d'appui à la recherche a été vivement souhaitée, à l'instar de celui que l'État de São Paulo venait de constituer au Brésil.

La proposition a émergé d'une conférence spécialement consacrée à la biologie des hautes altitudes. Considérée comme urgente, elle a effectivement eu lieu au Pérou en novembre 1949. Une deuxième conférence latino-américaine, également recommandée, sur les techniques actuelles de la physique, se tiendra en juillet 1952 à São Paulo.

Le Centre régional de coopération scientifique a eu comme mandat d'entrer en relation directe avec les scientifiques et les institutions scientifiques des pays latino-américains. Pour les participants à la conférence, les relations scientifiques devraient avant tout se faire directement entre institutions scientifiques, sans nécessairement passer par les agences diplomatiques des gouvernements (UNESCO, 1948b, p. 8).

La déclaration finale de la conférence défend la nécessité de la formation de nouveaux chercheurs, de l'existence de moyens pour travailler "en toute tranquillité d'esprit, en l'absence de contraintes et de pressions extérieures" (UNESCO, 1948b, p. 10). C'est une défense très claire de la liberté de recherche comme condition du progrès scientifique, et contre l'interférence des pouvoirs politiques32.

Dans cette conférence de Montevideo, l'objectif de l'UNESCO était sans doute plus politique que directement scientifique. Seul un petit nombre de scientifiques a réellement participé à la conférence. Mais son existence même traduisait de manière visible la priorité de l'UNESCO vers la 'périphérie'. Tous les participants, même peu nombreux, ont souligné l'intérêt de ces discussions, à l'endroit même de pays à la recherche des moyens de leur développement scientifique, et non pas dans les centres scientifiques européens ou nord-américains. L'appui de l'UNESCO, matérialisé par cette conférence et la création du Centre régional de coopération scientifique, a été une légitimation essentielle de leur combat pour la création d'institutions scientifiques, coordonnées au niveau national, et pour la possibilité de pouvoir se consacrer à plein temps à un métier de chercheur scientifique.

 

LE CENTRE RÉGIONAL DE COOPÉRATION SCIENTIFIQUE33 ET L'IBECC

Comme décidé lors de la Conférence de Montevideo (LACDOS), le nouveau Centre régional de coopération scientifique pour l'Amérique latine ouvre en janvier 1949. Son premier directeur est Angel Establier, un biochimiste espagnol, républicain en exil. Entre 1931 et 1940, il avait déjà été responsable des sciences naturelles à l'Institut International de la Coopération Intellectuelle. Lors de la fondation de l'UNESCO, un accord de coopération fut établi avec l'ICSU dès 1946. Angel Establier34 fut alors chargé par l'UNESCO de mettre en œuvre cette coopération en 1947 et 1948. A Montevideo, il a pour assistant Cacciapuoti, qui fut le secrétaire général de la Conférence.

Comme prévu dans la Charte fondatrice de l'UNESCO, des commissions nationales pour l'UNESCO sont constituées dans plusieurs pays. Au Brésil, elle prend la suite de la Commission brésilienne de coopération intellectuelle dès 1946, sous le nom d'IBECC.

Cette commission, rattachée directement au Ministère des Affaires étrangères, l'Itamaraty, diffuse au Brésil les publications de l'UNESCO, y relaie ses enquêtes, et cherche à en mettre en œuvre les initiatives. C'est dans ce cadre que Paulo Carneiro est venu présenter le projet d'IIHA35. L'IBECC publie parfois (no. 1 en 1947, no. 2 en 1948, no. 3 en 1952...) un bulletin qui relaie les propositions et idées de l'UNESCO. On trouve ainsi dans le no. 2 un article de Carlos Chagas Filho (1910-2000) défendant l'idée de la création d'un Conseil national des recherches scientifiques, peu de mois avant que le projet de constitution du Conselho Nacional de Pesquisas (actuel Conselho Nacional de Desenvolvimento Cientifico e Tecnológico - CNPq) ne soit présenté devant le Congrès brésilien36.

Mais pour beaucoup de scientifiques, l'IBECC n'apparaissait pas comme un lieu adapté pour développer les relations avec l'UNESCO et, plus largement, les relations avec leurs collègues d'autres pays, non plus qu'un forum pour débattre du développement de la science. L'IBECC apparaissait comme trop proche des diplomates, avec des notables de Rio de Janeiro souvent éloignés du travail scientifique.

La Société Brésilienne pour le Progrès des Sciences (SBPC) et des scientifiques brésiliens, établirent donc des liens directs avec Establier et le Centre régional, sans passer par l'IBECC. Pour établir un "annuaire des institutions scientifiques en Amérique latine", Establier vient rencontrer en mars 1950 des scientifiques brésiliens, au titre de ses fonctions de directeur du Centre régional (Ciência..., 1950a, p. 153-154). Il demande leur appui pour aider les scientifiques d'autres pays moins développés que le Brésil. Des correspondants du Centre régional sont nommés directement dans ces centres scientifiques. Il s'en est suivi des mois de conflits entre Establier et Levi Fernandes Carneiro (1882-1971), le Président de l'IBECC37.

Pour ce dernier, le Centre régional devait rester sous le contrôle des commissions nationales pour l'UNESCO, et abandonner les contacts directs avec les scientifiques des différents pays. Levi Carneiro considérait qu'Establier violait la souveraineté nationale brésilienne, et écrivit à plusieurs reprise en ce sens en 1950 à Torres Bodet, alors directeur général de l'UNESCO38. Pour lui, l'attitude d'Establier était symptomatique d'un comportement qui, en retour, provoquait des réactions nationalistes, qui avaient abouti au final à l'échec de l'IIHA39.

Dans ce conflit, le problème était davantage celui de l'IBECC que du Centre régional, selon la SBPC qui publie un appel pour réformer l'IBECC, demandant que les scientifiques "actifs" y deviennent majoritaires: "l'organisation actuelle de l'IBECC est telle qu'elle conduit à entraver l'établissement de relations entre l'UNESCO et les scientifiques et centres de recherches au Brésil" (Ciência..., 1950a)40.

Paulo Carneiro soutiendra auprès de l'IBECC le travail de L'UNESCO, et plaidera pour un soutien financier accru du Brésil pour l'UNESCO41.

 

LA SOCIEDADE BRASILEIRA PARA O PROGRESSO DA CIÊNCIA (SBPC) ET L'UNESCO

La SBPC a été fondée en juin 1948 avec d'emblée des branches dans tout le Brésil. Dès le débat, elle est très favorable à l'UNESCO et à son action en faveur de la coopération scientifique internationale. La coopération avec l'UNESCO fait partie des objectifs officiels de la SBPC tels qu'ils apparaissent dans ses publications.

Les premiers numéros de sa revue, "Ciência e Cultura", comportent une rubrique régulière sur les activités de l'UNESCO42. Le premier numéro (janvier-avril 1949) reproduit le résumé d'une conférence de Paulo Carneiro, tenue en octobre 1948, dans laquelle il présente le projet d'IIHA lors d'une rencontre de la SBPC. Dans le même numéro, figurent les conclusions de la conférence des experts scientifiques latino-américains tenue à Montevideo, ainsi que la présentation du Centre régional de coopération scientifique.

En juillet 1949, Armando Cortesão, du Département des Sciences naturelles de l'UNESCO fait une conférence à São Paulo pour le premier anniversaire de la SBPC. Il y présente, en compagnie de Silva Melo, la campagne engagée par ce Département sur le thème de "L'homme et son alimentation", campagne qui traduit la prise en compte des "aspects sociaux de la science" par l'UNESCO (Ciência..., 1949b, p. 142-144)43. En 1951, la SBPC consacrera un numéro spécial à la deuxième campagne de l'UNESCO dans ce domaine, "l'énergie au service de l'homme", en publiant plusieurs documents (Ciência..., 1951).

LUNESCO, et particulièrement le Centre régional de Montevideo, est le thème même du discours d'ouverture de la seconde réunion annuelle de la SBPC (Curitiba, novembre 1950), avec la conférence du mathématicien Oscar Dodera (Ciência..., 1950b, p. 261-265)44.

La SBPC a également participé de manière active à la rencontre des sociétés pour le progrès des sciences, qui se tint au siège de l'UNESCO à Paris en septembre 1950. Quatorze sociétés étaient représentées, parmi lesquelles trois d'Amérique latine. Maurício da Rocha e Silva en fut le représentant. La rencontre avait pour objectif de constituer une fédération internationale de ces sociétés. L'initiative en revenait à l'Association Française pour l'Avancement des Sciences (AFAS), mais cette Fédération ne réussit pas vraiment à voir le jour, en raison des réticences des sociétés anglaise et américaine. "Ciência e Cultura" a donné un large écho à cette initiative, avant (Ciência..., 1950a, p. 154), comme après avec un éditorial (Ciência..., 1950b, p. 249) et un compte rendu détaillé (Ciência..., 1950b, p. 335-338).

 

REMARQUES FINALES

La politique de Joseph Needham, en tant que Directeur du Département des Sciences naturelles de l'UNESCO entre 1946 et 1948, ouvrit, avec l'appui de Julian Huxley le Directeur général, le chemin d'une politique préférentielle de l'UNESCO en direction des pays du Tiers-monde. Cela resta une marque de l'UNESCO, et connut des développements importants après les indépendances dans les années 1960. Mais les années 1950 marquèrent un retour en arrière, quand les États-Unis devinrent hégémoniques à l'UNESCO et se servirent de cette agence pour la Guerre Froide. La démission de Jaime Torres Bodet, écrivain mexicain, en 1952 de son poste de Directeur général fut la marque de cette domination.

Dans des pays comme le Brésil ou le Mexique, où existaient déjà des noyaux importants de scientifiques professionnels et des laboratoires, le tropisme 'tiers-mondiste'45 et particulièrement latino-américain de l'UNESCO fut un appui et une légitimation d'importance pour l'organisation et le développement de la science. L'UNESCO était en phase avec 'l'avant-garde' des scientifiques latino-américains pendant ses premières années. Pour d'autres pays, ce fut plus formel, et ne dépassa pas le cap des diplomates et des discours.

Dans les années 1950, la politique scientifique suivie par l'UNESCO fut bien différente de celle voulue par Needham et ses amis progressistes. La fonction de la science cessa d'être progressiste, supposée apporter un bien-être universel. Elle devint une science dépolitisée, simple auxiliaire d'un développement économique prenant modèle sur les États-Unis, participant de la défense du 'monde libre' contre le communisme. Ce fut le modèle proposé par le Président Truman dans le discours de sa prise de fonction en janvier 1949, ce qui est connu sous le nom du 'Point IV': l'Assistance Technique. Mais c'est une autre histoire.

 

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Endereço para correspondência:
Museu Paraense Emílio Goeldi
Editor do Boletim do Museu Paraense Emílio Goeldi. Ciências Humanas
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São Braz - CEP 66040-170
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E-mail:boletim@museu-goeldi.br

Recebido: 14/07/2009
Aprovado: 23/11/2009

 

 

1Le nom a changé au cours des années: département, division, secteur... On gardera 'département' dans cet article. Pour le 60e anniversaire de l'UNESCO, un livre "60 years of Science" a été publié (Petitjean et al., 2006), rédigé pour l'essentiel par des scientifiques de l' UNESCO. J'y ai coordonné la partie historique, sur les 20 premières années du Département des Sciences naturelles, et publié plusieurs contributions sur différentes volets de cette son Département. Les premières années de l'UNESCO et de son Département des Sciences ont été aussi racontées par ses acteurs (Cortesão, 1947; Malina, 1950; Florkin, 1956).

2Notamment Aant Elzinga (Elzinga, 1996a, 1996c).

3La science étant perçue comme 'neutre', les grandes puissances y voyaient moins d'enjeux politiques, une fois le nucléaire confié directement au Conseil de Sécurité de l'Organisation de Nations Unies (ONU).

4Julian Huxley et Paulo Carneiro sont typiques des libéraux travaillant étroitement avec des marxistes à l'époque.

5UNESCO (Paris): minutes de la sous-commission "sciences" de la Commission Préparatoire; minutes des conférences générales et de leurs commissions; série Institut International de l'Hyléa Amazonienne; série LACDOS; Département des sciences. Cambridge: papiers de Joseph Needham et de John D. Bernal. Londres: archives nationales. Houston: papiers de Julian Huxley (consultés par Heloisa M. B. Domingues). Rio de Janeiro: archives de la famille Carneiro (Casa Oswaldo Cruz, Fundação Oswaldo Cruz); archives diplomatiques et archives de l'Instituto Brasileiro de Educação, Ciência e Cultura (Itamaraty). São Paulo: archives de la Sociedade Brasileira para o Progresso da Ciência (SBPC). Washington: archives nationales (diplomatiques, RG 59); archives de la Smithsonian Institution (Kellog Papers); archives de l'American Council of Learned Societies à la Library of Congress; et archives de la National Academy of Sciences (Hylean Amazon Project et Committee on UNESCO). Paris: archives du Muséum national d'histoire naturelle (Paul Rivet); archives diplomatiques (Service des oeuvres et série amérique-latine); et archives nationales (série AJ16 éducation). New York: archives du conseil économique et social de l'ONU (ECOSOC Hylean Amazon Conference).

6En particulier au Brésil, Miguel Ozorio de Almeida y joua un rôle central (Petitjean, 2001). La commission Brésilienne de coopération intellectuelle est créée en 1926. Aloysio de Castro, puis Roquette Pinto et Miguel Ozorio de Almeida (à partir de fin 1935), qui sera également élu en 1939 membre de la Commission Internationale de Coopération Intellectuele (archives de l'Iamaraty).

7L'IICI est dissout en 1945 pour céder la place à l'UNESCO, dont le secrétariat est en quelque sorte la continuation de l'IICI. Paulo Carneiro représente le Brésil lors de la réunion de dissolution de l'IICI.

8Miguel Ozorio de Almeida y est présent (carton B61 des archives de l'American Council of Learned Societies et archives Rivet).

9Le rôle de Paulo Carneiro: Maio (2004); Domingues et Petitjean (2004b). D'autres Brésiliens ont joué un rôle important dès le début de l'UNESCO, notamment Artur Ramos (Maio, 2000).

10Archives nationales (RG 59) à Washington.

11La décision d'ouvrir un bureau régional de l'UNESCO à La Havane, fut prise lors de la 4e conférence générale en décembre 1948 à Beyrouth (archives de l'UNESCO). Les États-Unis estimaient que la branche culturelle de l'Organisation des États Américains pouvaient jouer ce rôle, qu'un centre régionale de l'UNESCO était inutile (archives nationales, Washington, RG59, box 2259, 501-PA).

12Elzinga a proposé une typologie des modes de relations internationales (Elzinga, 1996b).

13On met sous ce nom la Division for the Social and International Relations of Science de la British Association for the Advancement of Science (BAAS), le Committee on Science and its Social Relations de l'International Council of Scientific Unions (ICSU), la British Association of Scientific Workers (AScW), et d'autres groupes semblables. Le livre de référence de ces mouvements est "The Social Function of Science", de John Desmond Bernal (1939): "La science va devenir reconnue comme le facteur essentiel des transformations sociales fondamentales" en est le leitmotiv. Une abondante littérature existe depuis 30 ans sur ces mouvements. L'ouvrage de base est Werskey (1988). Suite à un symposium lors du Congrès International d'Histoire des Sciences à Beijing en 2005 (une partie des contributions à ce symposium a été publié dans "Minerva": Petitjean, 2008), Werskey a fait un retour sur les 30 années de critiques de la science depuis la publication de son livre (Werskey, 2007).

14Tant la volonté des États-Unis de reprendre en mains l'UNESCO, que celle de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) de tisser un cordon sanitaire contre les intellectuels progressistes non-inféodés à ses intérêts (voir la conférence de Wroclaw mi-1948), ont mis fin au partenariat initial entre l'UNESCO et la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques (FMTS). Bernal, Joliot, Crowther et Biquard animèrent la FMTS. Needham, Huxley, Auger et Laugier (entre autres) l'UNESCO (Petitjean, 2008). Les réseaux scientifiques franco-britanniques des années 1930 ont joué un rôle essentiel dans l'origine de ces deux agences (Petitjean, 2009).

15J'ai publié ailleurs une analyse plus développée de ce 'principe de périphérie' (Petitjean, 2007). Les conceptions de Needham n'étaient pas partagées par Bernal (Petitjean, 1999). Ce sont deux variantes du marxisme. Alors que Needham met en avant la recherche effectuée par les scientifiques chinois ou indiens (Needham,1946, 1966), Bernal somme les scientifiques indiens d'abandonner leurs recherches - auxquelles il ne consacre d'ailleurs que quelques lignes dans ce livre - en écrivant: "Probably the best workers for Indian science to-day are not the scientists but the political agitators who are struggling towards this end" (a self-reliant and free community) (Bernal, 1939, p. 207-208). Le marxisme de Bernal a également suscité de nombreuses controverses (Rose et Rose, 1981; Ravetz, 1981).

16Archives de la Commission Préparatoire de l'UNESCO (COMPREP), UNESCO, Paris.

17Sur les premières années du Département des Sciences: Malina (1950), Florkin (1956), Petitjean et al. (2006).

18Clearing House dans le langage de l'UNESCO.

19Cette partie reprend les grandes lignes de plusieurs articles déjà publiés conjointement par Heloisa Bertol Domingues et Patrick Petitjean (2000, 2001, 2004a).

20Archives de la famille Carneiro.

21Archives de Paul Rivet.

22Rapport de Felizberto Camargo pour le Ministère de l'agriculture, archives de la famille

23Carneiro. Archives de la Commission prépatoire de l'UNESCO.

24Tous documents dans la série IIHA des archives de l'UNESCO.

25Les scientifiques américans étaient plutôt favorables au projet IIHA (arhcives de Kellog, qui représentait les États-Unis à Bélem; archives de la National Academy of Sciences). Par contre, le Déparement d'État y était hostiles. Au-delà de l'IIHA lui-même, les États-Unis étaient particulièrement hostiles au Département des Sciences naturelles de l'UNESCO. Needham, chrétien et marxiste, était identifié par eux comme le fer de lance de l'influence communiste à l'UNESCO, alors que l'URSS avait refusé d'être membre de l'UNESCO. Paulo Carneiro lui-même était suspecté de complaisance envers le communisme.

26Documents dans les minutes de la deuxième conférence générale de l'UNESCO et dans les textes préparatoires.

27Pour ce faire, Faulo Carneiro publie une brochure très argumentée situant l'IIHA dans le cadre de sa philosophie d'écologie humaine (Carneiro, 1951).

28Une interprétation différente de l'échec de l'IIHA est donnée par Maio et Sá (2000). Ils mettent l'accent sur le caractère parachuté de l'extérieur du projet de l'UNESCO, peu ancré dans la communauté scientifque brésilienne, et sur la dimension néo-coloniale de l'UNESCO pour ce projet. Un autre article (Magalhães et Maio, 2007) corrobore la vision nationaliste du rejet, alors que notre analyse (Domingues et Petitjean, 2000) va plutôt dans le sens d'une convergence d'intérêts entre nationalistes et États-Unis pour rejeter le projet de l'UNESCO. Pour une vision a posteriori du projet et de son échec par l'UNESCO: Mabberley (1999).

29Premier document de la conférence, qui comporte la résolution de Mexico, l'ordre du jour, et les délégations institutionnelles.

30La liste des délégués figure à l'acte final de la conférence, archives de l'UNESCO (série LACDOS).

31La question du 'temps intégral' pour la recherche était un enjeu considéré comme essentiel par les scientifiques brésiliens (Schwartzman, 1979).

32La Sociedade Brasileira para o Progresso da Ciência (SBPC) reviendra sur ce thème lors de sa première réunion annuelle en octobre 1949 à Campinas, avec une conférence d'Eduardo Braun-Menendez, publiée dans "Ciência e Cultura" (v. 2, n. 1, p. 3-9).

33Ce Centre existe toujours, son nom actuel est Oficina Regional de Ciencia y Tecnologia de la UNESCO para America Latina y el Caribe (ORCYT-UNESCO). Voir une brève histoire de ce centre sur le site de l'UNESCO: http://Www.unesco.org.uy/aniversario/historia.html (vu en juillet 2009). Plus globalement, sur les Field Science Co-operation Offices (FSCO) à l'origine, UNESCO (1950) - et sur leur histoire, Hillig (2006).

34Plusieurs intellectuels antifascistes, espagnols ou portugais exilés furent employés par l'UNESCO à son origine. Ainsi aussi l'historien des sciences Armando Cortesão par le Département des Sciences naturelles. Angel Establier a dirigé le Centre de Montevideo entre 1949 et 1954, puis de nouveau entre 1960 et 1964. Establier sera la cheville ouvrière de la sixième Conférence générale de l'UNESCO qui se tient à Montevideo en 1954.

35L'IBECC accompagnera régulièrement ce projet, notamment avec la participation d'Heloisa Alberto Torres.

36Dès septembre 1946 l'IBECC avait constitué une commission sur l'organisation de la recherche scientifique au Brésil, avec Carlos Chagas Filho, Lelio Gama, Olympio da Fonseca et Cristovam Leite de Castro, entre autres (Atas da Diretoria do IBECC, archives de l'IBECC, Itamaraty). Carlos Chagas Filho a joué un rôle important dans les instances de l'ONU et de l'UNESCO en ce qui concerne la recherche scientifique pendant de nombreuses années (Chagas Filho, 2000). L'UNESCO sera un point d'appui essentiel pour l'organisation et l'institutionnalisation de la science, pour la mutualisation des politiques scientifique. En particulier pour le Brésil (Motoyama et Garcia, 1996).

37Les archives de l'IBECC contiennent pour 1950 de nombreuses lettres de Levi Carneiro échangées avec Establier, Torres Bodet et Paulo Carneiro. Levi Carneiro considère que, selon la convention de Londres qui institue l'UNESCO, toute intervention de l'UNESCO au Brésil doit passer par l'IBECC, et que le Centre régional est donc tenu de ne pas avoir des relations directes avec les scientifiques brésiliens: voir la lettre du 23/02/1950 de Levi Carneiro à Establier, Archives de l'IBECC. Levi Carneiro reproche à Establier de choisir lui-même, sans en référer à l'IBECC, les destinataires des aides de l'UNESCO: bons pour des livres, services de revues et journaux scientifiques, invitations etc.

38Dans une lettre du 24/02/1950, il attire son attention sur les "graves divergences" qui l'opposent à Establier. Il revient à la charge le 13/04/1950: "Establier reste intransigeant dans son attitude, qu'il assume. Il vient à São Paulo en accord et en combinaison avec quelques scientifiques brésiliens; il vient à Rio de Janeiro où il se conduit pareillement. Je n'ai jamais eu communication de ce qu'il y a fait. A ce qu'on m'a dit, il a généreusement attribué des avantages plus ou moins considérables, à des institutions qui, selon lui, les méritent". Levi Carneiro a pu le rencontrer "seulement une heure", et Establier lui a fait une seule concession: l'informer des choses "les plus importantes", mais le Président de l'IBECC constate qu'Establier reste le seul juge de ce qui est important, et qu'il ne reçoit aucune communication du Centre régional.

39Dans la lettre du 13/04/1950 à Torres Bodet.

40Un premier avertissement dans le même sens, concernant l'UNESCO elle-même, avait été lancé dès 1949, en conclusion de l'article sur la conférence de Montevideo: "Il faut toujours garder à l'esprit que si l'UNESCO cherche à être purement représentative, son échec est programmé" (Ciência..., 1949a).

41En 1948, parlant au nom de l'UNESCO, Paulo Carneiro explique que les contributions financières du Brésil à l'UNESCO, et leurs contreparties sont justifiées seulement "au regard des services que nous pouvons recevoir de l'UNESCO et des services que nous pouvons apporter" (lettre au Secrétaire général de l'IBECC, Memorandos 1942-1949, archives Itamaraty).

42Rubrique intitulée "Da UNESCO".

43Le compte rendu fait par la revue met bien l'accent sur le volet 'aspects sociaux de la science' du programme du Département des Sciences naturelles de l'UNESCO.

44Oscar Dodera Luscher (1912-1972), mathématicien argentin, conseiller scientifique de l'UNESCO.

45C'est à dessein que j'utilise ce terme anachronique.